D'abord remarquée par son recrutement sulfureux, l'équipe Tinkoff se montre compétitive sur la route pour ses premiers tours de roues avec de jeunes coureurs comme Ignatiev, Brutt, Trusov ou Kirienka. Cette équipe est née de la volonté d'Oleg Tinkov, un homme d'affaires russe à la personnalité complexe
« L'OLIGARQUE DE LA BIERE »
Oleg Tinkov fait partie de ces hommes d'affaires russes qui ont fait fortune après l'effondrement du bloc soviétique. Venu de Sibérie pour suivre ses études d'ingénieur à Saint Petersbourg, il se lance dans le marché noir en vendant notamment du caviar. Pour la première fois, il "[se] sent riche". En 1993, il créée une chaîne de magasins d'électronique grand public à Saint Petersbourg en important ses produits directement depuis l'Asie du Sud Est.
Il arrête alors subitement ses études, les jugeant inutiles et part six mois aux Etats-Unis suivre des cours de marketing à l'université de Berkeley en Californie. "Parce que le marché de l'électronique stagne", il vend sa première entreprise en 1997 : "Cela m'a pris une seconde. Je suis le genre de personne qui prend l'argent et s'en va.". Quand ses affaires ne l'intéressent plus, Tinkov s'en débarrasse, une constance dans sa carrière. Il préfère rechercher des marchés inexploités car "c'est plus facile quand on est les premiers"
Il se lance alors dans le commerce de la bière en créant un restaurant-brasserie en 1998, puis une véritable brasserie en 2001. Il se surnomme lui-même "l'oligarque de la bière". Il aime raconter qu'il aurait trouvé une vieille recette de bière sur le parchemin d'un de ses ancêtres du temps de Pierre le Grand, même s'il n'a jamais fourni la moindre preuve de l'existence de ce parchemin. En réalité, c'est aux Etats Unis que Tinkov aurait eu cette idée de brasserie.
LE MARKETING ROI
Comme il l'avoue lui même, sa bière n'a rien d'extraordinaire : "le genre de bière qu'on brasse partout en Allemagne", mais Tinkov l'a enrobée d'une bonne dose de marketing : "Ce qui est important n'est pas la technologie, mais le marketing. C'est comme le show business. Les gens vont écouter un nom, pas un chanteur. C'est ainsi que les choses fonctionnent. (...) Je pense que ceci est inné chez moi".
Pour sa bière, Tinkov vise une clientèle "d'intellectuels émancipés, sans complexe et orientés vers la liberté et les valeurs occidentales.". Avec le prix élevé de sa boisson, il vise clairement les classes aisées. Pour les séduire, Tinkov n'hésite pas à faire appel à une publicité agressive, voire provocante car, pour lui, tout est une histoire de sexe. Il se fixe tout de même certaines limites. Il a ainsi refusé les propositions de l'auteur des publicités Benetton. L'une mettait en scène le président russe Poutine, mais Tinkov ne veut surtout pas se mêler de politique, même si le président russe vient prendre une bière dans son restaurant à chacun de ses passages à Saint Petersbourg.
Comme l'électronique auparavant, la brasserie va rapidement ennuyer Tinkov. Endentées et soumises à une réglementation plus stricte en matière de publicité, ses brasseries sont vendues en 2005. Auparavant il avait déjà vendu une usine de surgelés achetées quelques années avant. Il continue à développer ses restaurants et, en 2006, il rachète une banque moscovite qu'il rebaptise Tinkoff Credit System.
SOUKHO, EKIMOV ET BRUYNEEL COMME MODELES
Le cyclisme est une ancienne passion pour Oleg Tinkov. En 1986, il participait quelques courses en Union soviétique, mais les recruteurs de l'époque n'avaient pas jugé son potentiel de sprinter (il mesure 1,90 m) intéressant : "C'était la méthode soviétique. Si vous ne les impressionniez pas assez chez les juniors, personne ne s'intéressait à vous. Il y avait tellement de ressources humaines à leur disposition.".
Bien plus tard, ce sont les rencontres qui ramèneront Tinkov au cyclisme. Tout d'abord Serguei Soukhoroutchenkov : "Il était l'idole des jeunes cyclistes des années 80. Pour moi c'en est toujours une. (...) Il n'y a pas de plus grande star que lui".
Il y a ensuite Viatcheslav Ekimov qui apprécie sa bière et l'invite dans les voitures de son équipe pendant les étapes du Tour de France. Il observe attentivement Johan Bruyneel et cela lui donne envie de monter son équipe cycliste. C'est Ekimov qui lui recommande alors de s'intéresser à l'équipe Lokomotiv. Il s'en sert de base pour son équipe qui voit le jour en 2006, Tinkoff Restaurants. Les moyens sont d'abord modestes (1 million d'euros), "mais c'est juste un début. Le projet est ouvert à de nouveaux sponsors et des coureurs plus forts. Nous travaillons constamment dans cette direction". Avec un effectif jeune, la première saison est plutôt une réussite avec 17 victoires UCI.
COUREUR A 38 ANS
Evidemment, Tinkov se donne un rôle dans l'équipe. Non pas de directeur sportif, comme on pourrait s'y attendre, mais de coureur. Il a alors 38 ans et doit se mettre au régime. Début mars 2006, il boit "sa dernière goutte d'alcool.". Suivant l'entraînement mis au point par Ekimov, il parcourt 7 000 km en deux mois. Il s'entraîne aussi avec Vladimir Gusev. Il perd près de 20 kg en un an prend le départ de la Mayor Cup à Moscou le 3 mai. Il termine 29e, entouré de ses coureurs. Il participe ensuite au Five rings of Moscow (sous le maillot d'une équipe de Saint Petersbourg) où il abandonne après la première étape.
A la fin de l'année, son équipe change de catégorie et passe en continental professionnel. Tinkov laisse son vélo à la maison et se distingue par recrutement provocateur avec de nombreux coureurs mêlés à des affaires de dopage (Hamilton, Hondo...). L'équipe a pour le moment réalisé un début de saison prometteur et s'est faite inviter pour le Giro.
Le cyclisme sera-t-il comme les autres activités de Tinkov un passe-temps de quelques années dont il se lassera ? Il jure que non : "Concernant le cyclisme, c'est totalement différent".